Toute existence est une marche, un voyage, une recherche.
Le chevalier des temps jadis se propose un but exaltant, un idéal au service de son suzerain : il veut pourchasser les brigands, secourir les faibles… Libérer une princesse captive pour la rendre à son fiancé… Trouver le château du saint Graal et s’agenouiller, en état de ravissement…
Il prépare ses armes, prend un viatique et part, sous le regard de celle qu’il aime de loin, aimera toujours de loin.
Il traverse les forêts, se désaltère aux torrents, passe par des lieux fabuleux, dangereux, livre des combats. Menacé par des méchants et des monstres, souvent blessé, secouru par des amis inconnus, il remporte des victoires.
Obéissant à sa voix intérieure, enflammé d’un grand amour, il conquiert les vertus qui lui donnent un bouclier de couleurs et une lance de lumière.
Enfin, après des années, si la pureté s’est installée dans son cœur, les portes s’ouvrent et il est admis dans le château merveilleux…
Ce jeune prince est un être qui a trouvé un jour le sens de la vie en écoutant l’appel du plus haut idéal.
Servir une idée, être utile au monde a été pour lui un but exaltant.
Le chevalier s’est dit : Je vais maintenant orienter ma vie dans une nouvelle direction, je vais l’embellir, la faire fructifier, la consacrer, la sanctifier. Et il a senti que tout commençait à changer : ses courants d’énergies, la perception qu’il avait de lui-même, d’autrui, de la nature… Il a pressenti que tout ce qui allait lui arriver serait d’une nature prodigieuse, pleine de significations, éclairante.
Le jeune chevalier connaît maintenant Celui qu’il veut servir, il lui a promis loyauté et fidélité. Pour lui il livrera combat et se surpassera.
Entre toutes les causes que l’on peut servir sur la terre, il a choisi celle qui engage à être plutôt qu’à avoir, à protéger plutôt qu’à régenter : voilà ce qui mobilisera toutes ses forces.
Il sent que la terre est un espace où s’affrontent des forces inconnues, des milices invisibles : esprits lumineux, esprits ténébreux…
Il est appelé à discerner et à choisir son camp.
O.C., tome VII, part. II, chap. 5
Il a compris que s’il s’engage au service de la liberté, il est libre.
Je sens depuis toujours, se dit le jeune homme, que je suis un voyageur sur la terre. Je ne l’oublierai pas, je maintiendrai constamment cette idée dans mon esprit, et je ne m’arrêterai jamais nulle part pour y pousser des racines.
Une fois son but fixé clairement, il reste au chevalier à faire tous les apprêts nécessaires pour la route.
Et tout d’abord il entraîne et prépare son cheval, qui sera son compagnon de tous les instants.
Le jeune homme vérifie la solidité de ses armes, l’épée, le bouclier… Enfin, le matin du départ, il remplit son sac de pain et de vivres.
Au moment de partir, il sent, il voit qu’un regard féminin est posé sur lui.
Est-ce le regard de la reine inaccessible qu’il a aimée dès leur première rencontre ?
Est-ce le regard d’une Femme divine qui serait à la fois comme une mère, une épouse, une sœur ?
Voda, tome 20 (2008), 29 mars
Il contemple cette Femme depuis le domaine du temps où il vit sur terre. Elle le regarde depuis son royaume d’éternité et ce regard sera pour lui une sauvegarde dans tous les dangers.
Le jeune chevalier s’est mis en route. Il traverse des paysages d’une variété infinie et s’émerveille de cette fraîcheur, de cette beauté.
Il sent que, peu à peu, s’infuse en lui un mystérieux savoir sur la vraie vie.
Bientôt cependant des passages contrastés, des hauts et des bas, des montées, des descentes l’obligent à faire effort sur lui-même.
Ainsi peu à peu le jeune homme apprend que tout ce qui lui advient de l’extérieur et lui demande un effort, a une signification.
Il a toujours été courageux, il a toujours lancé joyeusement ses forces dans le combat sans jamais envisager de capituler devant l’adversaire, mais…
Bientôt il découvre que tous les obstacles extérieurs rencontrés, croyait-il, par hasard, sont des messagers intelligents. Ils sont porteurs de sens pour sa vie intérieure. Chacun concerne de très près son tempérament, son caractère, sa façon de penser, de sentir, d’agir.
Au fil des mois et des années, le chevalier a traversé des régions très différentes les unes des autres, il a rencontré beaucoup d’êtres, acquis de nombreuses expériences. Il a vu par quelles souffrances passent les créatures sur leur chemin parfois privé de lumière, il a consacré ses forces à les aider.
Lui-même n’est pas exempt de commettre des erreurs, des imprudences, des fautes, il en subit les conséquences. Mais même lorsqu’il en souffre, une haute partie de lui-même se réjouit, car il comprend comment fonctionnent les sublimes lois. Il sent que ce savoir sur le monde est un savoir sur lui-même, comme lui-même est un reflet du monde.
Ainsi le chevalier donne journellement des preuves de persévérance, de fidélité, de stabilité.
Son regard est devenu plus simple, plus pur. Il commence à sentir, à comprendre, à voir. Ses véritables racines sont dans le monde céleste. Il implore les courants venus du monde divin de baigner son âme entière, de pénétrer dans tout son corps. Il commence à deviner auprès de lui la présence de créatures subtiles, merveilleuses.
Et sans même qu’il le sache, elles tracent en dansant une sphère lumineuse autour de lui, remplie de couleurs irisées, dont l’intensité le protège et dont l’éclat le vivifie.
Elles savent qu’il aura besoin d’y trouver refuge.
Jeune homme, il était parti persuadé de sa valeur, imbu de ses forces, désireux de les dépenser en combattant le mal, en exterminant des monstres. Ces fauves dangereux, il croyait les trouver à l’extérieur : il se voyait parcourant la terre pour les débusquer dans les forêts inextricables, les cavernes, les déserts, les marécages, les volcans…
Mais dans son âge mûr il comprend maintenant que, certes, les ennemis ténébreux sont très souvent à l’extérieur, mais qu’ils ont toujours leur trace, leur image à l’intérieur même de l’âme humaine.
Sa méditation l’amène plus profond. Il comprend que le véritable combat à livrer ne se situe pas là où il croyait : ce n’est plus « massacrer, supprimer, exterminer, extirper, anéantir… » non, il a entendu cette voix de sagesse qui lui dit : « apprivoiser et mettre au travail ».
Donc, quelle riposte, quelle réplique …ou plutôt quelle réponse intelligente, puissante et bonne va-t-il apporter à la présence intérieure de ces animaux ? Et tout d’abord, quelles armes employer ?
Comme Héraklès, le héros antique qui avait accompli douze « travaux » en relation avec les signes du zodiaque, le chevalier livre douze grands combats. Le héros grec était soumis à la vindicte d’une déesse et aux ordres d’un roi poltron, mais notre chevalier, lui, est libre et n’obéit qu’à lui-même – ou plutôt à une voix intérieure qui le guide, douce, irrésistible, exigeante. Elle l’amène au fil des ans à remporter douze victoires, qui sont des victoires sur lui-même.
Dans ses régions intérieures de feu, Bélier, Lion, Sagittaire, il triomphe de l’impulsivité brutale, de la vanité ostentatoire, de l’orgueilleuse indépendance : il apprend le patient don de soi, la vraie générosité, la défense des nobles causes.
Dans ses régions de terre, refusant les attachements possessifs, la sécheresse de cœur, la dureté orgueilleuse, en Taureau il apprend le désintéressement, en Vierge la tendre attention aux autres, en Capricorne l’aspiration à s’élever vers les cimes spirituelles.
Dans les régions de l’air, Gémeaux, Balance, Verseau, il renonce aux faux-fuyants, à l’indécision, au désir de se singulariser ; il apprend à se donner entièrement, à servir l’harmonie, à s’effacer pour l’entente universelle.
Dans ses régions intérieures d’eau, s’étant défait des impressions subjectives, des passions désordonnées, des émotions indistinctes, en Cancer il apprend la sensibilité claire et pure, en Scorpion l’audace de mourir pour entrer dans la vie sublime, en Poissons l’oubli de soi pour se fondre dans le tout.
Dans ces nombreux combats il a reçu des blessures, son corps en porte les marques, mais son âme est rajeunie et purifiée. Une lumière entoure et accompagne sa marche, une lumière qui sait tout, voit tout.
Il aspire de tout son être à trouver l’enceinte sacrée : il imagine là-bas, au loin, le miroitement de la sainte Coupe, source de vie éternelle…
Et soudain au sortir de la forêt, le voici devant un château, et aussitôt il sait qu’il est arrivé. C’est là l’édifice dont il a tant rêvé, plus grandiose et plus beau encore et… comment dire, plus proche de lui que lui-même.
À son approche, la grand’porte s’ouvre : il est reçu par de très nobles amis qui l’attendaient. Entonnant un chœur solennel, ils le mènent dans la salle d’honneur et là, ils lui attribuent un siège parmi eux autour de la table ronde.
Au centre de cette table, dans un instant apparaîtra et reposera le saint Graal, dans une gloire d’or.